Nous vivons désormais dans un monde digitalisé. L’utilisation des techniques d’information et de communication devient indispensable pour la réalisation d’une part importante de la vie quotidienne ( avec son bailleur social, sa banque, les fournisseurs, les rendez-vous médicaux, les administrations … )
Mais il existe un décalage entre l ‘accélération du processus de numérisation ( 100% des services doivent être dématérialisés depuis 2022 ), et l’impossibilité pour une partie de la population de suivre, par manque d’ équipement parfois et de maîtrise des outils numériques souvent.On compte 13 millions d’exclus.
La fracture numérique est un révélateur des inégalités sociales qu’elle accentue en retour. Elle reproduit des inégalités liées au sexe , à l’âge, au revenu, au capital social et culturel.
Ainsi les usages d’internet restent les plus nombreux et les plus diversifiés dans les populations socialement et culturellement privilégiées, notamment chez les jeunes générations diplômées des milieux urbains.
Beaucoup moins équipées d’ordinateurs, les personnes non diplômées, marquées par la faiblesse de leurs revenus et l’instabilité de leur situation sur le marché de l’emploi restent éloignées d’internet.
Le taux de connexion reste très faible chez les personnes de plus de 70 ans. L’aisance de la navigation est en partie liée à une familiarisation précoce avec l’outil.
Ajoutons l’isolement territorial avec l’existence de « zones blanches » mal desservies et des zones rurales dépourvues de structures d »accompagnement.
La fracture numérique pénalise doublement les personnes déjà victimes de la fracture sociale.
Non seulement elles doivent plus que les autres accomplir des démarches liées aux nécessités vitales : par exemple réaliser un CV pour l’emploi à partir de logiciels informatiques sachant que de nombreuses offres ne sont disponibles que sur internet. De même la maîtrise du numérique conditionne de plus en plus l’obtention de prestations sociales lesquelles sont cruciales pour ceux et celles qui doivent faire face à la faiblesse de leurs ressources financières.
Mais encore ces personnes doivent faire cela avec un outil qu’elles ne maîtrisent pas.
Le rapport difficile à l’écrit est un handicap. Or internet a été d’emblée un outil qui recourt à l’écrit.
S’ajoute une incompréhension du langage administratif très codé et qui a été conçu par et pour des internautes experts et diplômés, incompréhension qui touche d’ailleurs aussi les jeunes, les « digital natives » familiarisés aux usages ludiques et communicationnels des TIC.
Nombreuses sont les personnes qui ne disposent pas d’un ordinateur mais d’un smart-phone et doivent gérer leur vie administrative sur un petit écran, avec une connexion instable et sans imprimante pour scanner et garder une trace des échanges. Une vraie gageure !
La numérisation de l’administration rend les personnes qui ne savent pas effectuer les démarches vulnérables.
Le risque majeur est celui de l’exclusion du monde de l’emploi, le risque de l’exclusion sociale.
Mais c’est aussi celui de la stigmatisation qui frappe les non initiés. Internet est souvent vécu chez les employés de service et les ouvriers comme une entrée dans la modernité, un gage de conformité sociale qui leur est refusé.
Enfin c’est toujours une situation de dépendance vis à vis de ceux qui savent ( les enfants parfois, les voisins, les travailleurs sociaux..)
Dans tous les cas ces expériences numériques sont vécues sous le registre de la contrainte et engendrent des souffrances.
Sans doute faut-il mettre l’accent sur la formation à ces nouvelles technologies désormais incontournables. Sans doute faut-il développer des services publics numériques accessibles à tous, compréhensibles, respectueux de la vie des hommes et des femmes mais il faut aussi maintenir le lien humain au travers de guichets où il est possible d’établir un rapport de confiance, de s’expliquer, de corriger, de se faire entendre.
Denise Bordes