La question de la fin de vie hante notre société. On se souvient du film de Michael Haneke en 2012, intitulé « Amour », qui met en scène un couple d’octogénaires dont la femme atteinte d’un accident vasculaire cérébral se voit décliner aux yeux de son mari jusqu’à ce que ni l’un ni l’autre n’en puisse plus, jusqu’à ce que le mari étouffe sa femme dans une longue scène qu’ Haneke nous oblige à regarder, scène au cours de laquelle on ne sait pas lequel des deux est le plus torturé.
En France la loi Léonetti / Claeys de 2006 est une avancée considérable sur la question : le droit d’interrompre le traitement d’un patient en fin de vie, le recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, la désignation d’une personne de confiance susceptible de témoigner de la volonté du malade hors d’état de pouvoir s’exprimer, l’existence de directives anticipées rédigées par le patient, l’obligation d’une procédure collégiale avant toute décision, autant de repères précieux quant à l’orientation des pratiques professionnelles.
La loi rappelle la dimension éthique propre à l’acte de soigner, le respect de la dignité, la non discrimination, la place du secret médical.
Mais la question n’est pas résolue pour autant.
1 ) D’abord la loi actuelle laisse une béance sur la difficulté d’une fin de vie jugée insupportable par le patient. Dans le cas de maladies telle la maladie de Charcot lorsque le patient demande à ne pas faire le parcours jusqu’à la mort atroce, la médecine lui refuse l’aide à mourir lors même qu’elle ne pourra rien faire pour améliorer son état.
Car si la loi prévoit une fin de vie annoncée, si elle prévoit une assistance à la mort pour les toutes dernières semaines de la vie grâce à la sédation, elle refuse le geste qui aide à mourir à ceux qui instamment le demandent. La loi Léonetti est contre l’euthanasie.
Il reste aux patients qui ne veulent pas poursuivre un chemin jugé intolérable, réduits à l’arbitraire ou à la connivence, à trouver un médecin complaisant pour leur venir en aide… Sans doute peuvent-ils, livrés à leur angoisse extrême, décider de mettre, seuls, fin à leurs jours ou bien partir, pour ceux qui en ont les moyens, en Belgique ou en Suisse où le coût d’un suicide assisté est 15000 euros.
2 ) D’autre part la loi Léonetti qui constitue un progrès indéniable sur la question est mal appliquée.
Et ce pour plusieurs raisons :
D’abord par manque de connaissances législatives de certains médecins et d’informations des patients. La désignation d’une personne de confiance n’est pas une pratique entrée dans les moeurs. Encore assez peu de directives anticipées sont rédigées par les patients en toute conscience. Et à l hôpital les directives anticipées, quand elles existent, ne sont pas opposables à la décision des médecins.
Plus profondément, la difficulté de notre société à se représenter la mort, à en parler, le fait qu’elle reste un sujet tabou, n’aident pas à imposer l’application de la loi.
Par ailleurs l’image négative de la vieillesse est aussi un frein à penser la personne âgée comme un être humain ayant des droits et au premier chef celui de mourir dans de bonnes conditions.
La culture de l’hôpital est, de plus, un handicap. Devenu lieu de recherche et de formation, l’hôpital privilégie sa mission curative. Le décès d’un malade est souvent perçu par les soignants comme un échec des moyens thérapeutiques mis en œuvre.
Nombreux sont encore les professionnels qui perçoivent la technicité comme un élément de valorisation professionnelle au détriment de leur rôle d’accompagnant. Se pose ainsi la question des habitudes et des réflexes développées par plusieurs générations de praticiens qui devraient être remis en question dans le but de mettre en place un accompagnement adapté des personnes âgées en fin de vie.
Les formations en soins palliatifs, à l’écoute, et à la communication avec le patient en fin de vie sont facultatives pour les professionnels intervenant aussi bien en établissement sanitaire qu’en activité libérale. Nombreux sont les étudiants qui n’effectuent pas de stage dans les services dédiés.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, les structures de soins palliatifs sont très insuffisantes en regard des besoins actuels, et en tenant compte du vieillissement de la population.
26 départements ne disposent d’aucune structure de soins palliatifs.
Les équipes mobiles pouvant intervenir en Ehpad, à domicile, sont dramatiquement manquantes.
Le 13 septembre dernier le Comité consultatif national d’éthique a rouvert le débat passionné depuis des années sur cette question de la fin de vie.
Il admet, à de strictes conditions et sur initiative du Parlement, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide. Il s’agit « d’aider à mourir des personnes, non pas en fin de vie, mais atteintes de maladies graves et incurables provoquant des souffrances réfractaires et dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. »
Le Comité souligne le double devoir de la société : un devoir de solidarité en prenant en charge au sein des hôpitaux, des Ehpads, à domicile, cette dernière partie de la vie ; mais aussi le devoir d’entendre la demande d’autonomie, ce désir légitime de chacun à pouvoir décider librement de sa propre fin.
Et l’exigence est bien double. Ne serait-il pas en effet dangereux qu’une loi générale autorisant l’euthanasie devienne, dans les conditions d’une pénurie des structures hospitalières, d’une insuffisance de personnels formés à l’expertise du soin palliatif, un encouragement à dire aux citoyens qui vieillissent que ce serait mieux pour leur dignité et celle des autres qu’ils disparaissent ?
Contournant encore une fois l’Assemblée parlementaire, ne tenant aucun compte de la réflexion d’Associations sur cette question, le Président Macron a décidé d’une grande Consultation citoyenne qui nous rappelle la Convention citoyenne sur le climat dont le travail a été tout simplement anéanti.
Cette question de la fin de vie à la fois complexe et universelle, douloureuse mais essentielle mérite mieux qu’une gesticulation de pure forme.