Témoignages et motions des collèges et lycées de l’académie
« On est prêt. » Qui peut oublier qu’à chaque fois que le ministre de l’Éducation nationale prononce cette phrase (E3C, école à distance...) l’institution frôle le crash ? Obnubilé par son calendrier médiatique et politique, Jean-Michel Blanquer oublie bien souvent les réalités du terrain.Une chose est sûre : ce sont les personnels qui font vivre le service public au quotidien, imposant des conditions strictes de réouverture, pour garantir la santé et la sécurité de tous.
L’enseignement en distanciel n’a été bénéfique pour personne, ni les enseignants (utilisation du matériel personnel, préparation des cours chronophage, pressions managériale et une continuité pédagogique très difficile à mettre en place : voir les résultats de notre enquête au début de la période de confinement ), ni les élèves.
En effet, qui peut nier que l’accès aux équipements et outils numériques est reconnu comme un des facteurs aggravants des inégalités sociales reproduites dans le milieu scolaire. Les chiffres de la reprise le prouvent aussi, on constate un retour massif dans les collèges d’enfants issus de milieux favorisés, alors que les établissements labellisés « éducation prioritaire » ne voient qu’environ 10% de leurs effectifs revenir en présentiel. Les inégalités qui se sont accrues pendant le confinement avec le distanciel vont donc continuer.
1- Réouverture des collèges et protocole sanitaire
L’annonce de la réouverture des établissements du second degré a été accueillie avec inquiétude par les personnels de l’Etat que nous sommes.
Pour rappel : mémo et outils du SNES-FSU pour répondre aux questions, défendre nos droits et agir collectivement
Comme le passé nous l’a maintes fois prouvé, il nous appartient de douter des « fausses promesses » de notre administration quant à la garantie des conditions sanitaires pour la réouverture des établissements. Les dotations de masques de l’Education Nationale (lavables !) ne sont principalement arrivées que le jeudi 14 mai, notre propre employeur n’a donc pas été en mesure de nous fournir le matériel minimum requis au respect du protocole sanitaire national lié aux réunions et instances préparatoires parfois en présentiel dès le 11 mai. Beaucoup d’établissements (au collège Brassens à Décines ou au collège Mistral à Feyzin, par exemple) ont d’ailleurs dû acheter ce matériel sur leurs fonds propres. Des irrégularités ont vu le jour : pas de formation aux gestes barrières à la Clavelière à Oullins, parfois pas de masques pour les AED/AESH (personnels encore une fois dépréciés) … Seul un établissement a pu faire valoir sa non-réouverture par manque de produits désinfectants : le collège Morice Leroux à Villeurbanne.
Ces différences d’appréciation du protocole sanitaire sont renforcées par l’autonomie des établissements. Le néomanagement des chefs d’établissement s’est encore accru en cette période de déconfinement. Les instances démocratiques des collèges (CA et CHS) ont parfois été positionnées après la reprise des élèves (au collège Verrazane à Lyon 9) alors même qu’elles sont censées présenter les protocoles sanitaires d’application locale liés à la réouverture, elles permettent aussi aux collègues de lire et faire remonter dans le PV une motion détaillant les dysfonctionnements et revendications en cette période. Il a même parfois été demandé aux collègues de faire preuve « de souplesse et tolérance face au protocole » (au collège les 4 Vents à l’Arbresle).
La communication confuse voire inexistante de notre administration académique et départementale a permis aux chefs d’établissement de remettre en cause le droit des personnels à faire valoir leurs autorisations spéciales d’absences pour garde d’enfants (au collège Aubrac à Givors et Jaurès à Villeurbanne). Alors même que le CHCST ministériel s’était engagé à ce que ces modalités soient appliquées jusqu’à la fin du mois de mai, sur la base du déclaratif, le rectorat n’a communiqué sur ce point aux chefs d’établissements que le 14 mai, date de sortie du bulletin officiel.
2- Réouverture des établissements et liberté pédagogique
La concertation avec les équipes pédagogiques pour l’organisation de la réouverture au 18 mai s’est également illustrée tel un outil de management autoritaire de la part de notre administration, avec de graves risques de dérives pour nos métiers.
Tout d’abord, ce retour au collège des seuls niveaux 6èmes et 5èmes pose le problème pour une majorité des collègues de devoir cumuler présentiel et distanciel (pour les classes des niveaux 4èmes-3èmes) pour compléter leur service. La circulaire prévoit une diminution du volume horaire hebdomadaire du fait des groupes de 15 élèves maximum. Mais, même si dans de nombreux collèges, il n’est pas nécessaire de faire des groupes, les contraintes horaires, les règles de distanciation… ne permettent pas d’organiser une journée « normale » en terme horaire, surtout que tous les enseignants, ne peuvent, pour raisons personnelles et/ou de santé, reprendre en présentiel. L’option de reprise en demi-journée a majoritairement été choisie, dans le but d’éviter la réouverture des cantines dont le protocole sanitaire est très contraint. La distribution des repas froids de la Métropole de Lyon est pour l’instant préférée à l’élaboration de repas chauds dans les établissements. A noter toutefois, dans l’Ain, les compagnies de transport scolaires ne voulant pas modifier leurs plannings, les collègues et élèves se voient imposer des plannings de retour en classe en journée complète, faisant fi d’un retour au collège sous couvert d’une pseudo « continuité pédagogique » et réduisant le rôle de l’école à une simple « garderie » pour favoriser la reprise économique.
Les chefs d’établissement ont ainsi dû refaire les emplois du temps dans le cadre du protocole sanitaire en garantissant un équilibre disciplinaire (à coups de calculs savants et proratas, comme à Brossolette à Oullins). Les risques d’explosion du temps de travail ont dû être rappelés et défendus par nombre d’équipes éducatives.
2 scénarii se sont profilés.
- En éducation prioritaire : un système du type « études dirigées » (accueil de groupes d’élèves par niveaux parfois effectuant des activités « clés en main » dans une discipline différente de celle du collègue les surveillant, quelquefois en sus de son service complet en distanciel donc rémunéré en HSE (comme aux Iris à Villeurbanne)).
- Hors éducation prioritaire : le respect de la structure classe et des niveaux enseignés par les collègues ont majoritairement été préférés, comme le stipule la ventilation de service signée en début d’année. Cependant, dans nombre d’établissements, les collègues n’ont pas été associés à l’élaboration de ce nouveau fonctionnement pédagogique (par exemple à Galois à Meyzieu ou Dufy à Lyon 3). Il est aussi à déplorer l’intrusion de tâches supplémentaires dans les services des personnels enseignants tels que le nettoyage des outils numériques et du bureau du prof à chaque fin d’heure de cours et la surveillance des couloirs et récréations, preuve flagrante du manque de moyens et personnels encadrants dans le 2nd degré. Ces attaques contre la définition même des missions d’un enseignant sont une nouvelle fois à contrer à coups de textes officiels et luttes collectives dans les établissements.
L’équation est compliquée, mais n’ouvrons pas la boîte de Pandore ! Nous en paierons les conséquences à long terme, sinon. Il est en effet à craindre que les fonctionnements validés en cette période se voient reproduits à la rentrée 2020.
En outre, actuellement, dans certains territoires, l’expérimentation de la mise en place du dispositif 2S2C (Sport Santé Civisme et Culture), qui délègue les disciplines artistiques et sportives aux collectivités territoriales et associations (périscolaire/ extra-scolaire) laisse à penser qu’une école centrée sur les « fondamentaux » reste l’objectif visé par le ministre de l’Education Nationale. Restons vigilants !