30 mars 2019

Foire aux questions

Qu’est-ce que la « période réserve électorale » ?

    Partager cet article :
Qu'est-ce que la « période réserve électorale » ?

Les élections sont parfois l’occasion de voir certaines administrations ou chefs de service être à l’origine d’instructions demandant aux agents de s’abstenir participer aux manifestations publiques, ayant un caractère pré-électoral ou électoral, au nom de la « période de réserve électorale ». La « période de réserve électorale » est fixée par le ministère de l’Intérieur dans le cadre d’instructions transmises aux préfets.

En ce qui nous concerne (enseignants), ce n’est ni plus ni moins qu’un rappel de l’obligation de réserve classique à laquelle tout fonctionnaire est astreint et qui nécessite une grande vigilance en période électorale.

L’obligation de réserve est un principe connu, accepté et respecté par les serviteurs de l’État. Le but est de garantir la neutralité de l’État et des services publics dans le cadre de la période de campagne électorale en imposant une obligation de « réserve d’usage » à l’égard des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. Cela s’applique donc aux agents publics et plus spécialement à ceux qui sont amenés à participer, dans l’exercice de leurs fonctions, à des cérémonies ou à des manifestations publiques. Un fonctionnaire de police assurant la sécurité d’un meeting, évitera d’applaudir ou de siffler. Il ne répondra à aucune sollicitation. Un enseignant travaillant sur un extrait de discours d’un candidat se gardera de le qualifier positivement ou négativement.

L’objectif de cette période est de rappeler qu’aucun fonctionnaire ou agent public ne peut faire de propagande ou donner un avis politique dans le cadre de sa mission de service public. Mais c’est toujours le cas, période électorale ou pas. En ce qui nous concerne, les enseignants qui, durant leur mission ou en se prévalant de leur statut, inciteront à voter pour untel sont rares.

Par contre, en dehors du service, le fonctionnaire redevient un citoyen « lambda », et il peut participer aux élections et à la campagne. Il est en droit d’intervenir, de participer, de prendre la parole. Il reste soumis à une obligation de réserve « classique », qui s’impose à tout agent public en vertu de la jurisprudence (ce qui signifie qu’il ne faut pas tenir des propos déraisonnables, outranciers, diffamatoires, outrageants…).

Ainsi, « la période de réserve électorale » ne permet pas d’interdire de manière générale à un fonctionnaire, de participer à la campagne. Il est donc surprenant de voir des recteurs, des DASEN ou des chefs d établissement l’invoquer pour interdire aux personnels de l’éducation nationale d’exercer leur citoyenneté.

En faisant cela, ils ne se rendent pas compte de la portée liberticide d’une telle conception de l’obligation de réserve. Ils ignorent la portée de l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui dispose que « la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires » et négligent le principe posé par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour tout citoyen , fonctionnaire compris quand il n’est pas en service :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
L’action syndicale se doit de rappeler ce que défendent les textes législatifs, réglementaires et les principes de la République.

Il faut relever que ces dérives liberticides ne sont pas nouvelles. Déjà en février 2011 le député Bernard ROMAN questionnait le ministre de l’éducation nationale à l’Assemblée nationale.

« M. Bernard Roman attire l’attention de M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative sur les incertitudes qui entourent la notion de « période de réserve électorale » que certains rectorats invoquent pour demander aux enseignants de s’abstenir de prendre part à toute manifestation publique dans la perspective des élections cantonales de mars 2011. La neutralité de l’État et des services publics est un principe connu, accepté et respecté par tout agent de l’État, de sorte qu’il est un peu surprenant de voir la teneur des recommandations adressées par certains recteurs aux personnels de l’éducation nationale. Il lui demande, par conséquent, de bien vouloir préciser la définition juridique de l’obligation de réserve faite à la fonction publique d’une manière générale et plus particulièrement dans les périodes électorales. »

Le ministre de l’époque, Luc CHATEL, répondait :
«  L’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que « la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires  ». Le principe général est celui de l’application aux fonctionnaires du droit commun des libertés publiques. Il en résulte que les lois qui régissent les diverses libertés publiques, en l’occurrence la liberté d’opinion et d’expression, s’appliquent à tous. Ces libertés peuvent néanmoins être limitées dans certains cas. Des règles spécifiques ont notamment été édictées s’agissant des périodes électorales. Dans le cadre de la période de la campagne électorale, une obligation de « réserve d’usage » a été consacrée à l’égard des fonctionnaires, dans l’exercice de leurs fonctions. Elle s’impose aux chefs de services de l’État et aux agents placés sous leur autorité. Si en principe, tous les fonctionnaires sont concernés par cette obligation, dans les faits, seuls sont visés ceux qui sont amenés à participer, dans l’exercice de leurs fonctions, à des manifestations ou cérémonies publiques. Cette obligation ne découle d’aucun texte statutaire ou relatif au droit électoral. Il s’agit d’une tradition républicaine. Elle a pour objectif de préserver la nécessaire neutralité politique de l’autorité administrative en période électorale et l’impartialité des agents. La « période de réserve » évite aussi aux agents ; d’être mis en difficulté parce qu’ils assisteraient, dans le cadre du service, à une manifestation publique au cours de laquelle pourrait naître une discussion politique. Elle permet de s’assurer qu’aucun fonctionnaire ne fera usage de sa fonction à des fins de propagande électorale. L’interdiction, durant cette période, de participer à une manifestation ou à une cérémonie publique est rappelée aux chefs de services déconcentrés, avant chaque élection, qui relayent l’information aux agents de leurs circonscriptions placés sous leur autorité. Elle peut, toutefois, être nuancée au cas par cas, en fonction des situations particulières. Les dates fixant la période de réserve sont données pour chaque période électorale, ce qui permet, à cette occasion, de rappeler la doctrine en la matière en tenant plus particulièrement compte des manifestations prévues durant cette période, afin que le devoir de réserve soit respecté en toutes circonstances. En dehors du service, les fonctionnaires ont, comme tout citoyen, le droit de participer aux élections et à la campagne qui les précède. Ils demeurent toutefois soumis au devoir de réserve « classique », qui s’impose à tout agent public en vertu de la jurisprudence. L’appréciation, à cet effet, du devoir de réserve incombe, sous le contrôle du juge, à l’autorité hiérarchique qui tient compte de divers éléments, tels que le niveau de responsabilité, la nature des fonctions, la publicité donnée à l’expression des opinions, le lieu où le fonctionnaire a exprimé ses opinions, la circonstance qu’il soit investi d’un mandat politique ou syndical. »

Le simple bon sens devrait prévaloir à cette simple petite question : Je suis fonctionnaire, en poste, et suis candidat aux régionales ou à tout autre élection. Comment vais-je faire campagne si les réunions préélectorales me sont interdites ?

Pour être un peu moins diplomate, le fonctionnaire n’est pas le domestique du gouvernement ou de son administration, livré à l’arbitraire, et lui devant allégeance. C’est le serviteur de l’Etat et de la nation, considéré comme un homme libre ayant des obligations, des devoirs et des droits. Il n’a pas à être considéré comme un rouage impersonnel de la machine administrative, sauf à ne plus vouloir de démocratie dans le pays.